CARRIÈRES LITTÉRAIRE ET MILITAIRE

Pourquoi l'Angleterre dormait

  En dépit du fait que l'avenir de JFK ait été décidé dès sa naissance par son père (à savoir la présidence des États-Unis qui, initialement, était destinée à Joe Jr.), ce n'est qu'à partir de son entrée à Harvard, en septembre 1936, que John commença à développer un intérêt pour la politique.

  En 1940, au cours de sa troisième année à Harvard, John fut chargé de rédiger une thèse. Son père lui conseilla de travailler sur la participation britannique aux accords de Munich. Aidé par une secrétaire privée (et cinq sténographes la veille de la remise du document), il acheva sa thèse Appeasement at Munich (cent cinquante pages) en l'espace de quelques mois et la remit le 15 mars 1940. Il obtint son diplôme avec la mention "excellent".

  Initialement, John souhaitait que sa thèse reste privée, mais son père lui "conseilla", ou plutôt lui imposa (JFK à son père : "Je ne ferai que... ce que tu juges bon.") de la publier (tout n'était que stratégie de la part de Joe : il s'agissait de préparer l'avenir politique de son fils. Comme l'ambassadeur le dit lui-même à ce dernier :

 

"Tu seras surpris de voir combien un livre qui intéresse réellement un public de qualité te servira dans les années à venir."

 

  Elle fut envoyée à Arthur Krock, journaliste du New York Times, qui constata la présence de nombreux points à revoir, en particulier le style, que les correcteurs de Harvard avaient jugé médiocre ("J'ai remanié le texte, c'est certain ; j'étais un conseiller, et j'ai pu fournir certains matériaux surtout stylistiques, mais c'était son livre"). Krock fournit également un titre : Why England Slept (Pourquoi l'Angleterre dormait), en allusion au livre de Winston Churchill While England Slept (Pendant que l'Angleterre dormait) sorti en 1938. Comme l'explique Reeves, la date de remise du manuscrit à l'éditeur approchant à grands pas, Joe Kennedy chargea son rédacteur personnel de travailler d'arrache-pied sur le document :

 

"J'y ai travaillé deux semaines durant, jour et nuit, pour le remettre à quatre heures du matin le jour où Eddie Moore (un employé de Kennedy) devait aller à New York pour le donner à l'éditeur. Lorsqu'on me l'avait donné, c'était un fatras bourré de fautes de grammaire. Certaines phrases n'avaient ni sujet ni verbe. C'était un travail très négligé, surtout des coupures de journaux collées bout à bout. Je l'ai remanié, et j'ai ajouté une petite conclusion."

 

  Bien entendu, la version officielle était la suivante : John avait trouvé le sujet de sa thèse seul, avait travaillé seul, et n'avait reçu l'aide de personne pour la transformer en livre.

  Le livre parut fin juillet 1940. Il fut bien accueilli. Henry Luce, du Time-Life, écrivit : "je ne me souviens d'aucun homme de ma génération qui aurait été capable d'écrire un livre d'un tel poids sur un sujet d'un intérêt aussi vital avant même de terminer ses études."

   Le père Kennedy était bien décidé à en faire un best-seller. Aussi, pour citer Reeves, "il en acheta discrètement trente à quarante mille exemplaires qu'il entreposa dans le grenier et dans la cave de sa maison de Hyannis Port (...) Au printemps 1941, quatre-vingt mille exemplaires avaient été vendus, dont la moitié en Angleterre." À seulement 23 ans, John commençait à devenir célèbre.

 

 

Lieutenant Kennedy

  Lorsque les États-Unis entrèrent en guerre, JFK ne fut pas réformé, et ce en dépit de ses problèmes de dos, de son asthme et de son ulcère. "Pendant son service dans la marine, John dut constamment porter un corset et dormir sur une planche", explique Reeves. Il n'en demeure pas moins que le futur président était déterminé à participer à l'effort de guerre.

  Il travailla d'abord trois mois à l'ONI (Office of Naval Intelligence), à Washington. Puis, souffrant toujours du dos, il demanda à commander un PT-boat (lance-torpilles) : le PT-101. Il souhaitait à tout prix être envoyé dans le Pacifique (nous sommes alors en décembre 1942 ; l'attaque de Pearl Harbor avait eu lieu un an plus tôt). Or, lorsque, en janvier 1943, sa vedette fut transférée en Floride, Joe Kennedy intervint : son fils fut affecté aux îles Salomon, dans le Pacifique. Il prit dès lors le commandement du PT-109.

 

Le PT-109 de Kennedy coupé en deux par l'Amagiri. Peinture de Gerard Richardson.
Le PT-109 de Kennedy coupé en deux par l'Amagiri. Peinture de Gerard Richardson.

  Le 2 août 1943, vers deux heures trente du matin, alors qu'il se trouvait aux alentours des îles Salomon, le patrouilleur de Kennedy fut éperonné par un destroyer japonais, l'Amagiri. Kennedy fut projeté sur le pont et tomba violemment sur le dos, ce qui n'arrangea guère l'état de celui-ci, déjà très fragile. La plupart des membres de l'équipage (15 hommes se trouvaient à bord) furent propulsés dans l'eau. Deux d'entre eux, Harold Marney, 19 ans, et Andew Jackson Kirksey, père de 25 ans, furent tués. Kennedy, c'est suffisamment rare pour le signaler, en fut bouleversé : comme le rapporte Reeves, “c’est tout de même terrible d’avoir perdu ces deux hommes, déclarait Kennedy. L’un deux faisait partie de l’équipage depuis mon arrivée… Il avait une femme et trois gosses. L’autre gars était nouveau à bord. Il n’était lui-même qu’un gosse.”

Peinture de propagande représentant JFK en train de s'occuper de Patrick McMahon.
Peinture de propagande représentant JFK en train de s'occuper de Patrick McMahon.

  Un mécanicien de quarante-et-un ans, Patrick Henry McMahon, fut gravement brûlé par une explosion. Aux alentours de midi, alors que le bateau était en train de couler, les survivants fabriquèrent un radeau. Kennedy s'occupa personnellement de McMahon, « en tenant entre ses dents une courroie de son gilet de sauvetage ». Après avoir nagé pendant quatre heures, ils arrivèrent sur un atoll.

 

  Une heure plus tard, JFK décida de se rendre au détroit de Ferguson dans le but de guêter l'éventuelle présence d'un autre PT-boat qui pourrait leur porter secours. Mêlant marche et nage sur une distance de quatre kilomètres, « tantôt en marchant sur des coraux glissants et acérés », il arriva à huit heures du soir. Malheureusement, il n'y avait aucun bateau. Il dut donc rebrousser chemin et rejoindre ses compagnons, manquant de se noyer au retour. Il demanda à un autre membre de l'équipage, George Ross, de renouveler sa tentative le lendemain, ce qu'il fît, hélas, à nouveau sans succès. Ils restèrent trois jours sur cet atoll. Puis ils gagnèrent un autre atoll, l'eau commençant à manquer (John continua à tirer McMahon dans l'eau). L'équipage ne savait pas qu'un garde côte australien, le lieutenant Evans, avait repéré l'épave du PT-109. Plusieurs avions furent mobilisés pour retrouver les naufragés, et des indigènes reçurent l'ordre de partir à leur recherche. Ces derniers repérèrent Kennedy et Ross qui étaient partis explorer un îlot à quatre cent mètres de l'atoll où s'était regroupé l'équipage. Le lendemain soir, plusieurs PT-boats envoyé par Evans vinrent secourir les survivants.

 

  Au cours de cet épisode, Kennedy fit preuve de beaucoup de courage, c'est indéniable, et c'est tout à son honneur. Cependant, sans grande surprise, les éloges démesurés étaient au rendez-vous. La famille impériale, bien entendu, était le chef d'orchestre, notamment grâce à ses relations avec certains journalistes. Pour citer quelques exemples : JFK n'avait gagné le détroit de Ferguson qu'une seule fois ; les communiqués et dépêches multiplièrent ce chiffre par trois. Le lieutenant Evans, sans qui l'équipage aurait erré bien plus longtemps sur l'atoll, ne fut jamais mentionné. Seul Kennedy était mis en avant. On fit également croire que JFK avait aperçu l'Amagiri foncer sur lui, et qu'il avait manœuvré son bateau en position de combat, chose complètement fausse. Cette image de héros militaire fut utilisée à outrance pendant la campagne présidentielle. En réalité, il faut bien le dire, même si JFK fut très courageux une fois le bateau coulé, il n'avait pas su gérer correctement ses hommes en tant que capitaine : avant que le PT-109 ne se fasse éperonné (citons un long passage du livre de Reeves),

 

« deux hommes dormaient et deux autres s'étaient allongés ; la radio n'était pas à son poste, mais en compagnie de John. Un autre membre d'un équipage de PT qui se trouvait sur les lieux a déclaré par la suite : "Lorsque j'ai appris que le 109 était touché, je me suis dit : "Puisque je pouvais voir à quinze cents mètres ou dix-huits cent mètres, pourquoi d'autres ne le pouvaient-ils pas ?" Je n'ai jamais obtenu de réponse satisfaisante. Peut-être étaient-ils assoupis ?" Le capitaine d'un PT qui se trouvait à proximité déclare de son côté : "C'est stupéfiant. On le voyait arriver de très loin. Il se dirigeait presque droit sur le 109. Nous avons dit par radio à Kennedy de regarder à tribord. Le sillage arrivait droit dans sa direction. Pas de réponse. Rien.". »

 

  Quoi qu'il en soit, ce qui aurait pu devenir une polémique ne changea rien : le mot "héros" était dès lors inscrit à l'encre indélébile sur le front du futur président des États-Unis d'Amérique.