LES KENNEDY : UNE FAMILLE EN ACIER

  La famille Kennedy n'avait qu'un seul mot d'ordre : gagner. Sans victoire, point de plaisir ni d'honneur. Il en allait de même pour la famille Fitzgerald : peu importait le prix à payer, peu importait à qui cela pouvait nuire, il fallait vaincre et obtenir ce que l'on désirait. JFK déclarera plus tard :

 

"L'art de réussite consiste à savoir s'entourer des meilleurs." et

 "Un homme fait ce qu’il a à faire malgré les conséquences sur sa vie, les obstacles, les dangers et la pression ; c’est la base de toute morale humaine.".

 

  Les enfants Kennedy (par ordre de naissance : Joseph Patrick Jr., John Fitzgerald, Rosemary, Kathleen, Eunice Mary, Patricia, Robert Francis, Jean Ann et Edward Moore) furent élevés comme cela, dès leur naissance. C'est un peu comme l'apprentissage d'une langue : pendant nos premières années de vie, nous enregistrons tous les jours des mots ; les Kennedy, eux, ont également appris par cœur le leitmotiv de la victoire. De même qu'il est vital de manger, il fallait, pour les Kennedy, être premier. C'était un principe de base. La deuxième place n'avait absolument aucun intérêt. Les déclarations d'Eunice permettent de se faire une idée de cet état d'esprit :

 

  "Ce n’est qu’à vingt-quatre ans que j’ai compris que je n’étais pas obligée de remporter une victoire tous les jours."

 

  Les visions intellectuelles, philosophiques ou morales n'avaient pas lieu d'être ; en politique, comme dans le reste de la vie, l’important, c’était de gagner. Le père, Joseph Patrick (que nous appelerons dans la suite de ce dossier Joe) rappelait régulièrement à ses enfants :

 

« Ici, nous voulons des vainqueurs. Nous ne voulons pas de perdants ».

 

Aussi, quand Rosemary (la première fille des Kennedy) – qui souffrait d'un retard mental – subit une lobotomie (opération chirurgicale consistant à sectionner des fibres nerveuses du lobe frontal du cerveau) à l'âge de 23 ans qui la saccagea mentalement, elle fut ni plus ni moins reniée par la famille. C'était une perdante. Elle n'existait plus. Elle fut cachée des yeux du monde dans un couvent, et fut interdite de visite jusqu'en 1995.

 

 

  Les Kennedy adoraient jouer au football américain, soit en famille, soit avec des invités. Ces derniers devaient donner leur maximum, tout en laissant bien entendu les Kennedy gagner. Un convive qui se plaignait d'avoir mal s'attirait immanquablement les foudres de la famille toute puissante. Il lui était également interdit de critiquer le jeu des Kennedy. En outre, les invités subissaient un constant persiflage : "Cela commençait dès que vous arriviez, raconte un visiteur. Vos vêtements, votre façon de parler, tout y passait : rien n’était sacré. On avait l’impression d’être constamment picoré par une bande de poulets."

  Mais la compétition se retrouvait également au sein même de la famille, notamment entre les garçons, qui en venaient parfois aux mains. Joe, le premier des enfants Kennedy, semblait trouver un malin plaisir à s'acharner sur son frère John. Au football, il se plaisait à lui envoyer le ballon en plein dans l’estomac et était ravi de la voir se tordre de douleur.

 

  Si, comme nous l'avons dit dans le paragraphe précédent, il était défendu aux invités de se plaindre, la règle était la même entre les Kennedy. Pour citer Thomas C. Reeves :

 

« Un jour, un des enfants qui s’était fait mal vint se faire consoler par sa mère et se laissa tomber aux pieds de celle-ci. “Debout !” ordonna-t-elle. Le garçon se releva et se mit au garde-à-vous. “Voilà qui est mieux, dit-elle. Maintenant, retourne dehors et comporte-toi comme tu sais que tu dois le faire”. »

 

  On comprend donc parfaitement que la relation parents / enfants n'avait rien d'affective. C'est à peine si on peut qualifier Joe et Rose de parents. On pourrait légitimement préférer "précepteurs". Il n'est donc pas étonnant que Joe Jr. se soit rendu de temps en temps chez des amis dont les parents étaient présents et disponibles pour discuter avec les jeunes. Comme le confia plus tard JFK à un proche :

 

« ma mère était soit à Paris pour assister à un défilé de mode, soit à genoux dans une église. Elle n’était jamais là quand nous avions vraiment besoin d’elle… Ma mère ne m’a jamais embrassé et serré dans ses bras. Jamais ! Jamais ! »

 

  Si l'impératif des Kennedy – qui était au final devenu basique, élémentaire pour eux – était la victoire, l'objectif imposé n'en était pas moins prétentieux : la présidence des États-Unis. Rien que ça ! Le père, Joe, n'y allait pas par quatre chemins : le fils aîné, en l'occurrence Joe Jr.,deviendrait président des États-Unis. La métaphore de la langue s'applique là encore : à force de nous répéter des mots, nous les enregistrons ; à force de répéter aux enfants Kennedy qu'ils accéderont à la présidence du pays le plus puissant du monde (et non ne postuleront pour), ils l'enregistrent également. Ce n'est pas de la prétention. C'est tout simplement établi. C'est un fait, on ne peut rien faire contre. Pour nous, c'est stupéfiant (on peut imaginer ce qui se passa dans la tête du camarade de chambre de Joe Jr. lorsque celui-ci déclara sans se troubler qu’il serait le premier président catholique des États-Unis) ; pour eux, c'était évident. La mort tragique de Joe Jr. ne bouleversa pas pour autant les plans du père : le "premier fils aîné" étant mort, au "nouveau" de prendre le relai, même si celui-ci n'en était pas particulièrement enchanté. C'est ainsi que tous les regards se tournèrent dès lors vers John. Les Fitzgerald n'envisageaient pas un futur pour ce dernier différent de celui espéré par les Kennedy : au cours d'une soirée réunissant les deux familles, John Francis Fitzgerald, le grand-père maternel des enfants Kennedy, porta un toast « au futur président des États-Unis » ; tous les convives levèrent leur verre. Il n’y avait dans son ton aucune trace d’humour ou de légèreté.

  Tous les enfants Kennedy, et plus particulièrement l'aîné, c'est-à-dire, depuis la mort de Joe Jr., John Fitzgerald, étaient conditionnés, ce que ce dernier ne chercha d'ailleurs nullement à cacher. Comme l'explique Thomas C. Reeves, il admit ainsi

 

« qu'il participait à ce marathon uniquement à cause de son père : “Parfois, nous sommes tous obligés de faire des choses que nous n’avons pas envie de faire”. Pendant un rare moment de découragement, il avoua à un groupe de collaborateurs : “Je n’ai fait que prendre la place de Joe. S’il était encore en vie, je ne me serais jamais engagé dans cela”. »

Ainsi, « un après-midi, alors qu’ils prenaient un bain de soleil, un ami de John lui demanda pourquoi il voulait devenir président. Sans ouvrir les yeux, John répondit : “Je suppose que c’est ma seule option”. »